La troisième révolution américaine – Jacques Mistral – Fiche de lecture
Tempus.2009. 245 pages
AUTEUR : Jacques Mistral.
Docteur en sciences économiques et directeur des études économiques à l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales). Il a été successivement conseiller économique du Premier ministre Michel Rocard, conseiller spécial du ministre des Finances Laurent Fabius, puis conseiller financier à l’ambassade de France à Washington (depuis 2001). Il est aujourd’hui membre du Conseil d’analyse économique, du Cercle des économistes. Il obtient le prix de l’économie en 2008 pour ce livre.
OBJET :
Essai de science politique sur les Etats-Unis et proposition d’une grille de lecture des défis à relever par les Etats-Unis dans les domaines politique, économique, social et environnemental, sous la forme d’une troisième révolution.
QUATRIEME DE COUVERTURE :
L’Amérique, aujourd’hui, est une fois de plus à la recherche de son destin. Des attaques terroristes au fiasco de la guerre en Irak, du fossé désormais abyssal entre riches et pauvres à la crise financière, sans oublier les divisions idéologiques exacerbées par l’équipe Bush, tout a tourné au cauchemar depuis sept ans. Mes fonctions à Washington puis mon année à Harvard m’ont donné l’opportunité de vivre en direct le déclin de l’ultralibéralisme et du conservatisme. Mais tout autant d’observer sur le terrain et d’analyser avec les meilleurs experts sur quelles bases commençait déjà à se reconstruire l’Amérique. C’est cette » troisième révolution « , après celles de Roosevelt puis de Reagan, que ce livre ausculte : retour de l’État, prise de conscience écologique, réveil des idéaux démocratiques, stratégie inédite de lutte contre les difficultés économiques, voilà ce qui se joue bien sûr à l’élection présidentielle de 2008, mais davantage encore sur les quinze ans à venir.
PROBLEMATIQUE :
L’économiste dresse un premier constat : « nous observons beaucoup de remises en cause du « modèle Américain » en très peu de temps ! », mais l’Amérique, à la recherche de son destin, peut encore surprendre le monde. De plus, l’ère du conservatisme et de l’ultralibéralisme initiée par Reagan est bien terminée, mais ce grand pays veut redevenir un pays réuni autour d’idéaux au-delà des difficultés économiques, sociales ou environnementales.
Se pose également la question du retour de l’Etat, celle d’une prise de conscience écologique, celui d’un réveil des idéaux démocratiques. Ce qui préoccupe l’auteur, c’est également savoir si les nouvelles stratégies économiques seront de nature à consacrer le slogan « USA is back ». Il pense, néanmoins que des éléments de réponses pourraient avoir surgi après une élection présidentielle qui porte les attentes de tout un continent, celle de 2008.
Le défi majeur des Etats-Unis est de concilier politique intérieure, en résolvant la crise économique interne, et coopération avec les autres grandes puissances mondiales tout en cherchant à redorer le mythe de « l’american dream » déprécié.
RESUME :
« J’ai acquis la conviction que l’Amérique avait une étonnante capacité à transformer les problèmes apparemment insolubles en autant de grandes opportunités »
Cette « troisième révolution » après celles des Roosevelt ou Reagan, est celle de « l’après »…
– …Déclin de la présidence Bush
Le mandat de Bush a été caractérisé par : un accroissement vertigineux de la dépense publique, le renforcement de l’Etat fédéral et le creusement du déficit public malgré une volonté affichée de rupture avec l’héritage du New Deal. L’auteur note quatre axes dans sa politique : l’éducation, l’utilisation des énergies religieuses mises au service du social, la privatisation du système de retraites « social security », et de celui des soins. Néanmoins, son déclin a été marqué par les attentats du 11 septembre 2001, l’ouragan Katrina, qui a agi comme un coup de projecteur d’une brutalité inouïe sur l’Amérique pauvre et noire délaissée, la guerre en Irak, guerre illégitime et mal-conduite qui scelle le déclin de l’influence Américaine, et enfin la réforme des retraites en 2005 mise à mal par le scepticisme populaire. En découle une méfiance à l’égard de l’Etat, d’où un « réalignement critique » nécessaire.
– …crise(s) financière(s)
La crise de 2000 n’a pas entamé le dynamisme de l’Amérique, le modèle américain était encore celui dont tous les autres pays devaient s’inspirer. Ceci étant, l’accumulation incontrôlée de la dette pose problème. Les solutions envisagées ont été soit une diminution des dépenses publiques, soit la majoration des recettes.
Les Américains adhèrent volontiers au thème de l’Etat minimal mais rejettent les sacrifices qu’impliquerait sa mise en œuvre. Concernant le dollar, suite à la crise de 2000, les IDE aux USA ont reculé; afin de rééquilibrer la balance des paiements, la Fed a cherché à attirer de nouveau les capitaux étrangers, signe d’une interdépendance accrue qui limite donc la possibilité pour la banque centrale américaine de prendre ses décisions sur la base d’objectifs purement nationaux. Le financement externe pèse comme une épée de Damoclès sur les décisions des autorités américaines.
De plus, l’euro s’impose peu à peu comme une vraie monnaie internationale qui interdit toute forme d’unilatéralisme en matière monétaire. Les Etats Unis ne sont donc plus les maitres du jeu, la puissance ne peut plus fonder la croissance seulement sur elle-même.
Leur compétitivité est-elle ainsi érodée ?
Les délocalisations touchent aujourd’hui tous les secteurs, y compris ceux à forte valeur ajoutée. La perte d’emplois industriels aux Etats-Unis, induite par la DIT, n’est plus compensée par la création d’emplois dans des activités à forte valeur ajoutée. La classe moyenne se trouve alors menacée. L’évolution sectorielle de l’économie américaine est de plus en déphasage par rapport aux tendances de la demande mondiale ; le vieillissement, sans modernisation de segments de l’industrie manufacturière, ne lui permet plus de financer, par ses exportations, les flux d’importations.
Les Etats-Unis peuvent-ils adopter le protectionnisme comme réponse à ce problème ?
Pourquoi pas! En effet, la mondialisation est ressentie par la majorité des américains comme perte du mode de vie traditionnel. La preuve en est donnée lorsque les plaintes de concurrence déloyale se multiplient au moment d’une récession. La part des Etats-Unis dans les exportations mondiales de produits de haute technologie a reculé. Son niveau de qualification a également tendance à stagner depuis 30 ans…
Cependant, les Etats-Unis ont une confiance illimitée dans les promesses de la science au niveau des applications économiques. Ils sont prêts à faire les efforts supplémentaires que requiert le nouvel état du monde en matière de R&D, sur fonds publics et privés.
Qu’en est-il des problèmes sociaux ?
Des inégalités salariales demeurent. La flexibilité du travail, et la qualité de l’enseignement supérieur sont de solides atouts mais la mobilité sociale tend à s’éroder. Concernant les inégalités de patrimoine, l’idéal de Bush, « une société de propriétaires » n’est resté qu’une illusion. C’est le contraire auquel ont abouti les politiques conservatrices. Si le taux de chômage reste faible, le marché de l’emploi étant flexible, il favorise le développement d’emplois précaires. Quant à l’éducation, la reproduction des inégalités « dynastiques » atteste d’un déterminisme social. De plus, la fiscalité ne joue plus son rôle compensateur, les mesures mises en place (telles que le No Child Left Behind de 2002) ont, pour la plupart, échoué. Beaucoup reste à faire pour mieux articuler efficacité économique et justice sociale, fonctionnement des marchés et intervention de l’Etat.
Sous la pression accrue de la concurrence, l’idée même de sécurité de l’emploi est oubliée. L’exposition individuelle au risque est croissante, souligne Mistral. L’idéal de l’homme-qui-compte-sur-lui-même (le self made man moderne) a donné aux campagnes conservatrices leur pouvoir de séduction : « Laisser chacun réussir ou échouer en fonction de ses propres mérites ».Cette tendance actuelle contraste radicalement avec l’Etat Providence développé dans les années 1930, qui se voulait le refuge de tous les individus, prônant un « ordre économique constitutionnel ». Dans les années 1980, la sécurité sociale échappa à l’emprise gouvernementale, à tel point qu’aujourd’hui le problème central est le partage équitable des fruits de la croissance, résumée par Mistral sous l’expression « a broadly distributed economic growth ».
Vers une prise de conscience environnementale ?
Dans les années 1980, plusieurs associations de protection de l’environnement ont mis le gouvernement en garde contre les effets néfastes de l’exploitation à outrance. Or, Bush, considérant que l’environnement est fait pour être exploité, démantela l’appareil législatif restrictif, afin de « lever les obstacles à la croissance ». Bush a méprisé les périls environnementaux, et désormais la législation sur le prix du carbone doit résulter d’un consensus politique, au-delà des clivages partisans.
Et Obama dans tout ça ?
Il porte incontestablement l’espoir d’une nouvelle Amérique unie. La finance est devenue un instrument de spéculation pour enrichir un petit nombre, à tel point que le capitalisme actionnarial a aujourd’hui des effets délétères sur le corps social. Il apparait donc nécessaire de redonner toute sa crédibilité au système, car « sans éthique, sans règle, il n’y a plus de capitalisme ». Les nationalisations de Septembre 2008, le sauvetage d’AIG par la Réserve Fédérale et le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars ne préfigurent-ils pas une période de réengagement de l’Etat ? En somme, les Etats-Unis se voient tiraillés entre soutien de l’activité et rétablissement des comptes externes, entre priorités intérieures et confiance des investisseurs internationaux, et surtout entre disciplines de la mondialisation et meilleur partage de ces disciplines. Autant de défis que l’administration Obama doit (et a dû) relever…
ANALYSE :
La relation qu’entretiennent les Etats-Unis avec le reste du monde et l’influence manifeste qu’ils exercent sur celui-ci ne figure pas parmi les axes majeurs de l’analyse de Mistral. Cette partie de la thèse de Mistral est simplement mentionnée dans la conclusion de son livre : « l’Amérique reste la seule hyperpuissance ». De plus l’idée selon laquelle « l’alternative à son leadership n’est pas le concert des nations, ce serait plus probablement le chaos » aurait mérité plus d’approfondissement.
L’optimisme dont il fait preuve en fin de livre semble dissoner avec les critiques acerbes qu’il fait tout du long. En effet, le Mistral américanophile semble à la fois très critique, lucide, et exigeant envers les politiques américaines.
Mistral a écrit son ouvrage avant l’élection d’Obama, il élude ainsi le thème de la campagne et on n’apprend très peu du personnage Obama. Il aurait cependant été intéressant de connaître les ambitions politiques des candidats. L’expérience de Mistral lui permet d’aborder les problèmes des Etats-Unis sous deux angles à la fois interne par son poste dans la finance américaine et externe en tant que français.
Des multiples comparaisons avec les autres révolutions se dégage une tendance des Américains à prendre à revers les échecs politiques économiques ou sociaux d’où le terme de 3ème révolution choisi à bon escient par J. Mistral.